carnet de confinement
herméneutique
Ces chroniques ont été écrites lors du tout premier confinement de mars à mai 2020.
Nous vivions à Sète qui est ici une personnage à part entière.
Ça parle d’un autre temps, d’un moment d’immenses incertitudes de colères et d’espoirs, en même temps se préparait un grand bouleversement dans nos vies : nous attendions un enfant. Dans quelles conditions allait il naitre ? Quand pourrions nous sortir ? Où vivre désormais ?
Ces lettres de tous les jours ont été un moyen de rester en lien avec les personnes les recevant chaque soir.
Elles sont posées tel quel, chronologiques et accompagnées de foto mais on peut les prendre dans le désordre, y fouiller, y revenir. C’était aussi la première fois que je montrais à tant de personnes à la fois mes images.Aujourd’hui tout est là et on peut y piocher comme dans des archives, picorer, oublier et y retourner ou pas
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les voix à la radio sont les mêmes
les oiseaux volent encore sur le ventre et regardent leur reflet médusé dans les vitres
ils attendent les graines de tournesols
une poignée suffira aujourd’hui
on hésite à payer les loyers même si on est pas des entreprises
on se retrouve par hasard sur le pont de la Savonnerie et on se rend compte que ce genre de rassemblement est possiblement le dernier et ce « jusqu’à nouvel ordre »
c’est un peu comme un jour de réveillon mais sans la fête à venir sans personne pour te souhaiter la bonne révolution
on s’attend pourtant toutes et tous à vivre une expérience inédite
ah
trois jours sans café
la nuit dernière
sensation de subir un siège sanitaire
les camions poubelle passent toujours et leur vrombissement m’exaspère
franchement à coté les gabians c’est les nocturnes de chopin
les visites aux prisonnier.es sont interdites
en cette ultime matinée de non confinement j’ai été filé du tabac et une tondeuse aux enfermés du centre de rétention de Sète
concentrés là pour 3 mois en attente d’une déportation administrative manu militari
si les frontières avec l’Afrique du nord sont fermées ils vont resté ente ces murs barbelés à moisir encore 45 jours de plus ?
la violence que c’est là dedans …
et les gens à la rue on leur collera des amandes
puisqu’ils n’ont pas de « chacun chez soi » ?
« chez eux » c’est dehors
« chez nous » c’est dedans
comment manifester la solidarité désormais
heureusement la bourse repart à la hausse +9% pour carrefour
cocorico nos enseignes nationales reprennent des couleurs grâce à la peur de manquer
j’entends des gens dans la rue alors que le couvre feu sévit
je n’y suis pas
serions nous trop sages ?
dernière bravade de la journée et j’espère de tous les jours de cette retraite forcée :
à 20h applaudissement pour les infirmièr.es qui urgent au charbon
et nous on sert à quoi à part ne pas être là
ce soir même les mouettes ne brailleront pas
la nuit est là
où êtes vous ?

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coups de fil à 23h passé :
ils nous ont relâché et demain pareil 5 autres dehors on sait pas où dormir
certains séquestrés du CRA de Sète semblent avoir été libéré car les frontières avec le Maroc sont fermées
inanité de la concentration
annulation de la déportation
« retourne chez toi »
devient alors
« tu déguerpis d’ici et tu restes là »
4ème jour sans café et 30 heures sans quitter la maison
puis avec la lumière rasante on a craqué
les tourterelles se sont envolées avec ce grincement si particulier quand elles se posent ou décollent
couinement et vol instantanément suivit d’un silence d’oiseau qui écoute avec ses oreilles invisibles
bé nous aussi on a bougé
on est sorti dehors !
humiliés de devoir se munir d’une autorisation de sortie
mais un peu bravaches de l’avoir griffonné sur un papier bruni et bourré de fautes d’orthographe
on s’est emparé du prétexte de se ravitailler et de nos vélos
et fouiiit on a filé vers la mer !
la corniches en béton de la criée regorge de gabians pour le goûter
volatiles voraces blancs comme neige prêts à en découdre avec les cormorans plongeurs rutilants et noirs
ils sont là comme tous les soirs au cul des chaluts
pour le retour des bateaux
mais les filets ne sont pas sorti en mer
les oiseaux les bateaux bredouilles
et le poisson nage
vivant
loin du port
ahh
les différentes échelles de la prédation
il est où le notre de prédateur ?
dans la buée enjambesque du jogueur
dans le sourire en coin d’une connaissance sur le trottoir d’en face
blotti dans la fiente des tourtereaux – tiens pas de graines de tournesol aujourd’hui
niché dans l’exaspération de la buraliste à cause de l’insistance de son client qui revient gratter ses jeux trois fois par jour
commerçante harassée par une journée de suspicion à reluquer les mains des gamins qui se posent sur TOUS les cahiers de coloriage ?
et pour la peine elle n’ouvrira que le matin qu’on se le dise
bahh
y mettre du notre
avec un accent même
du nôtre donc
et les sages femmes qui nous demandent qu’on leur cousent des masques
les infirmières qui n’entendent peut être pas bien encore quand on crie tous les soirs à 20 h dans les rues vides
qui n’entendent pas que derrières les rideaux tirés les oreilles se dressent quand même
y mettre du notre et les éducatrices qui doivent garder 6 mômes toute la journée car les institutions spécialisées n’ouvrent plus
6 mômes à garder 24h sur 24h payées 1400 balles par mois
ces mêmes mômes que la société qualifiera au moindre faux pas de fous inadaptés
dangereux autistes rescapés isolés étrangers
je regarde longtemps la houle pour qu’elle s’imprègne au fond de la rétine
de peur de la louper
son odeur
son fluide
de l’oublier en quarantaine
qui sait
peut être elle disparait si on la regarde pas
peut être elle trop contagieuse pour la ramener avec nous au 4ème étage en plein centre ville
au large des super tankers au mouillage
des masses maronnasses se déplacent mollement à sa surface
on regarde ouais
c’est encore gratuit
ce soir même les mouettes ne brailleront pas
la nuit est là
où êtes vous ?

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on va désinfecter la flamme olympique
ah ouais
et « on » c’est « qui »
des prolétaires Amazone pas protégéEs de la bouche et des mains ?
c’est encore eux les ON ?!!
le CRA de sète est parait-il presque vidé de ses séquestrés
aujourd’hui on a vu une abeille
et des poulets plein la rue
des passantEs négocient leur droit à se déplacer
la fermeture des plages
les poulets vont pouvoir compter les oiseaux de mers
et les étoiles filantes
en tout cas prolos ou pas le virus il touche tout le monde
oui on parle des riches à la radio
des connus qui sont malades footballeur patron artiste ministre
pour une fois que ça à l’air transclasse la poisse
bien sur on peut s’attendre à ce que ces Messieurs soient traités en priorité
avec soin
dans leur chair pulmonaire le délabrement des services publics
qu’ils s’appliquent si minutieusement à broyer
une abeille puis un papillon blanc
à 18 h nouveau rituel mondial : l’internationale des 8000 tambours
parait qu’on est déjà plus
tu te pointes à la fenêtre et tu tapes sur la peau de brebis
tu regardes les oiseaux ou la poussière ou la lumière qui n’en finit pas de grandir et tu tapes sur ta peau
la voisine a pointé le bout de son nez
je la voit sourire pour la première fois
elle frémit puis revient avec une spatule en bois et une couvercle
boouum bouuum ping pin ping bouum
qu’est-ce qu’on a souri du haut de nos forteresses
forteresse forteresse europe
ondée de peuples fuyants brise-larme mille pertuis
forteresse europe au centre de la pandémie
c’est sur nous c’est entre les murs que ça frémit
ici aussi on a déjà vu des mouvements migratoire interne
du nord au sud du pays
ma grand mère ce matin :
c’est à l’ile de ré qui sont pas contents
tous les parisiens qui sont venus dans leur maison de vacances ça fait du bazar
ils prennent le machin pour des vacances les parisiens
nous y voici
oui mamie ça fait du bazar d’accueillir des contagieux quand on se croyait à l’abri
ça fait frémir la peur de mourir
ça fait qu’on cumule des reliquats de méfiance
et on s’aime moins quand on s’y voit
un grand mystère ce qui se passe
un grand mystère aussi ce qui se trame dans le ventre girond
ces remous visibles à la surface tendu
la peau qui est bougée dans l’air chaud de midi
elle est allongée sur la terrasse le flanc mordu par le soleil
que se passe t il dedans
dans le ventre ceint
la lumière pénètre les tissus
l’abris maternel boue de vie
et la forteresse charnelle est aimante
déjà si aimante
aujourd’hui il ya du monde à la maison
une abeille un papillon et des mouches au vol saccadé
des mouches carrées !
ce soir les mouettes braillent
la nuit est là
où êtes vous ?


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aujourd’hui une abeille charpentière
zigzag entre les chaussettes suspendues
j’appelle la cabine à l’intérieur du CRA
ça sonne longtemps
on décroche
personne ne parle
ça résonne
au loin une voix de femme qui gueule un truc
au bout d’un moment je me dis que peut être oui ya plus personne
dans celui de Sète
je ressaie mais depuis 5 heures ça sonne toujours occupé
dans le vide le combiné pend dans le vide
sinon l’état juge en visioconférence les enfermés
parloir = tribunal
la justice est rendue dans des conditions sanitaires anxiogènes
heu exemplaires
oui oui
défendre ton droit à circuler librement
à t’installer où tu as envie de vivre
se défendre de vouloir vivre
de vouloir fuir un virus par exemple
se défendre au sein même du lieu de ta séquestration
au top
mais depuis quelques jours
les juges libèrent
ou assignent à résidence
le virus passe les murailles et libère provisoirement les corps des CRA
ainsi lors de pas mal de procès ces derniers jours les cours d’appel
décident de ne plus déporter hors des frontières éxagoniques
pour les prisons c’est pas tout à fait le même topo
un mort du corona à Fresne et les mutineries qui enflent à tel point que les Syndicat des avocats de France, de la magistrature et l’Observatoire international des prisons
demandent
qu’on incarcère moins de personnes en détention provisoire
ou pour de courtes peines
et qu’on libère plus rapidement les détenus condamnés
en fin de peine
la messe est dite
voilà une vidéo où se racontent des prisonniers
« isoler c’est pas abandonner »
« on a peur qu’un jour la porte elle s’ouvre plus et qu’on nous laisse mourrir ici »
oui
et ce sont encore les mouettes qui rient le plus fort
dans un farniente quasi bucolique
la colline du st clair est toute nimbée d’une brumasse bleue
son origine stagnante ?
le vent faible
la production
aujourd’hui deux énormes bâtiments déversent fumée et marchandises
mais le ciel me frappe entre les yeux
le ciel à l’air plus dense au fond
derrière le port il est ourlé de gris et d’un bleu veineux
le chat !
cette couleur je l’ai vu ce matin dans ses yeux
Le chat des toits
le chat regarde les humains avec des yeux de ciel
le chat épais fait grincer l’escalier et sent des recoins de la maison
là où je n’avais jamais pensé poser les yeux
que voit-il à travers cet interrogatoire olfactif ?
j’observe ce non humain
une rencontre au temps des réclusion
d’un autre vivant
d’un avec qui je peux pas parler comme d’habitude
un non-humain
il se vautre sur le lit
et se dresse contre moi
Il n’a pas peur que je fasse 10 fois sa taille
il me colle des petites baffes puissantes avec ses pattes sans griffes
une vélocité précise de prédateur
qui à peur de qui
la taille ça compte pas
déjà 20h
ce soir ça s’entend bien dehors les applauses pour les gens de la santé
ça fait plaisir quand même
ce matin dans une queue de magasin un camarade me dit que dans son quartier
hier à 20h y a eu prise de parole avec mégaphone
et deux chants ouvriers portés bien haut
oui voilà !
faudrait pas qu’applaudir se substitue à une critique politique
comme aller voter
aussi cet urgentiste de Lièges qui pousse une belle gueulante
oui voilà
on applaudit parce que ce sont des héros de la nation comme avaient pu l’être
pour certains les flics en 2015 ?
on applaudit dans le noir parce que ce sont des travailleuses et travailleurs vulnérables en première ligne
tout comme le sont tout.es les exploité.ess du sytème qui continuent de faire fonctionner la machine ?
on applaudit leur vulnérabilité face au virus
ou
face aux conditions salariales que le gouvernement pour ne citer que lui
ne fait que défoncer chaque jour d’avantage ?
on valorise les conditions de travail déplorables l’acte de courage la vulnérabilité
on applaudit ensemble des héroïnes qui le sont depuis un bail
qui sont en grève depuis un bail
qui s’organisent depuis un bail
avant les applaudissements
du calme
patience
ça va durer
on va avoir le temps d’expérimenter de toute façon
c’est vrai
mais c’est que je veux pas que ça nous passe entre les doigts !
cette
cette
je trouve pas le mot
cette occasion neuve
on pourrait profiter d’un moment comme ce 20h-applaudissement
pour porter la voix
porter la critique sociale
un balcon un parloir
une rue une assemblée populaire
et quand on sera relâché
on se trouvera autour des ronds points au pied de la mairie dans un champs de maïs ou de tournesol dans un parc avec les enfants sur un chenal avant la marée d’équinoxe
en cheval sur les autoroutes sans péages
on se trouvera et on se laissera pas faire
aujourd’hui
un chat au yeux outre manche
une abeille charpentière
des mouettes qui rigolent
toujours les mouches carrées
et pas de graines de tournesol pour les tourterelles
ce soir les mouettes braillent un peu
la nuit est là
où en sommes nous ?

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toc toc
é q u i n o x e
réveil au levant
ça tape fort dans le ventre de la gironde
belle journée à en juger par les rayures mordorées
merci pour le signe
on se rendort
hier l’ANAFé
demande la libération des personnes enfermées dans les zones d’attente des aéroports
leur prise en charge sanitaire et les refoulements à chaud ou à froid
une zone d’attente c’est encore un lieu de séquestration de l’état
à l’arrivée de l’avion en france où on peut y laisser moisir pendant des semaines
une personne considérée comme étrangère
cohabiter avec les autres
les prisonniers de la prison de Béziers en émeute cette après midi
aujourd’hui les plantes
nombreuses à la maison
( tiens on se demande si faire pousser des plantes c’est un marqueur de classe )
elles habitent en silence le même lieu que nous
nous partageons un même espace
des fois je me dis qu’elles manquent de convivialité
elles ne répondent pas à mes blagues
comme pourrait le faire une connaissance humaine à une terrasse de bistrot
comme ce matin
rancard en douce donné à une amie
habitante de la rue parallèle
rendez vous sur le plot au soleil à coté des halles
elle descend avec un café chaud
un pour elle
un pour moi
c’est convivial ça
je m’entends dire
tu guettes la rue dans mon dos et moi je regarde par là
on prend 5 minutes de soleil à coté des poubelles
c’est tout
y a rien de mal
si ?
habiter
par état de siège sanitaire
c’est quand même côtoyer d’avantage de non-humains que d’habitude
en tout cas pour moi qui vit là où je vis
c’est à dire au 4ème étage d’un appartement à l’apparence bourgeoise
du centre ville
aujourd’hui tout autour du monde
c’est l’équinoxe
ça veut dire que : nuit = jour = même durée
que dés demain : jour ++ / nuit – –
même chez soi
il s’agit bien d’habiter le monde
celui que le capitalisme la colonisation la prédation la gestion du virus et
la consommation nous laissent
Malcom Ferdinand dans son Écologie décoloniale il dit
« (…) le monde inclut la nature, la Terre, les non humains et les humains tout en reconnaissant différentes cosmogonies, qualités et manières d’être en relation les uns avec les autres. »
Relation avec les autres
Quand l’état concentre les pauvres les non-blancs les minorités
en rétention en cité en bidonville
puis que ce même état disperse à grand coup de bulldozer
il repousse hors de sa vue de son centre ville de ses vitrines
mais pas de son contrôle
il repousse un peu plus loin la misère les invisibles
et disperse les éventuelles maladies contagieuses inhérentes à ces conditions de vies précaires
c’est pas très geste barrière ça
les agents de polices premiers agents infectieux ?
Alors que Midi Libre propose
« Une manière pour les confinés de s’aérer durant quelques secondes dans des conditions de sécurité optimales »
c’est à dire
« prendre l’air à travers nos écrans et en toute sécurité »
la communauté gitane de Perpignan se fait décimer par le virus
en cause : le mode d’habiter le monde
que leur a laissé la ville et des nations qui les stigmatisent depuis des siècles
une promiscuité imposée
par la ségrégation sociale et raciale et spatiale
et pas comme le voudrait le sens commun à cause de leur nature ou autres clichés racistes
des quartiers entiers insalubres
posés les uns sur les autres
normal que le virus en fasse son affaire
des plus pauvres
les riches vont à la campagne prendre l’air
ma grand mère me reparle des habitats secondaires de l’ile de ré ce matin
le pigeon enfermé dans la boutique séphora
a été libéré
joies dans la rue des rares passants
l’oiseau qui hantait la vitrine depuis une semaine
s’envole
l’un des témoins de cette libération fustige les flics qui contrôlent aux pieds des halles
ils l’auraient traité d’handicapé
cet homme se déplace avec une canne
ce soir
à 20h le bateau corne longtemps
toue la colline et la ville vibrent
la nuit est là
où en êtes vous ?

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j’ai été victime de la guerre moi je vais vous le dire c’est déjà ce qui m’a fait prendre conscience des différences
vous savez comment je suis né moi ?
je suis né à la maison en 43
avril 43
avec une sage femme pas de médecin et ma mère avait un siège
vous savez ce que c’est un siège ?
normalement quand c’est comme ça on fait une césarienne on va à l’hôpital mais elle a voulu faire l’accouchement
je suis né à Sète
on était que 3 dans ma rue à aller à l’école
naitre en temps de guerre
naitre en siège pendant la guerre
naitre maintenant pendant le siège sanitaire
la guerre on nous la mène depuis longtemps
dans chaque interstice non marchand
la guerre va nous falloir la mener dés avant la fin du confinement
et ce sera une guerre contre ces élites bourgeoises qui défendent leurs intérêts financiers
leur domination effrontée
sournoise
et qui défoncent tout ce qui n’est pas rentable
on en est là rien de nouveau sous le soleil de mars
on s’habitue juste en ce moment à bien rester chez soi
à pas manifester à flipper de marcher dans la rue
économie de flashball notable en tout cas
là haut ces mots qui se racontent en italique
c’est une rencontre méridienne à coté des douanes
au bout d’un quai déserté
On se cause planquées derrière un canot sur cale seiche et un camping-car séculaire
y avait comme des relents de marin qui montait
par nappes un peu trop fraiches
qui nous franchissaient le col
qui nous maintenaient en éveil
et ça faisait des saute-moutons sur la bonne mère
ce bonhomme qui sort deux fois par jours pour son diabète son hyper tension et ses deux hanches en plastique
il a enseigné toute sa carrière de prof d’histoire en Seine St Denis
il nous papote ( 3m de distanciation sociale respectée ) de politique oui et de belles politiques
et nous offre au passage un petit topo sur la peste Noire puis la Grande peste
les rats piqués par des puces qui piquent des hommes qui se contaminent entre eux
une zoonose quoi
une maladie qui s’est transmise des animaux aux humains
- on se quitte comme des conspirateurs à slogan –
comme vous le savez très bien hein : NI DIEU …
heu N I M A I T R E !
à la maison cette nuit 3 moustiques !
pas encore chargés de sang
et pas très véloces encore mouligasses de l’hiver pas loin
les moustiques tuent 750000 humains par an
allez bon arête de compter les morts
regardons autour de nous les vivants
oh oh
oh oh
les postiers contaminés sont en train d’exploser
les assistantes maternelles lèvent le drapeau noir
les salariés d’Amazone proclament leur droit de retrait
comme des milliers d’autres en train de subir le choix du gouvernement de soutenir l’économie encore et toujours l’économie
et qui intime alors aux agents de l’état de « challenger » les récalcitrants
dixit murielle pénicaud ministre de l’économie
un fenêtre de la rue là bas déverse sa rumba catalane
d’habitude il joue le matin
c’est dimanche
je sais pas ce qu’ont les goélands mais ils miaulent partout sur les toits
aux aussi ont basculé avec l’équinoxe
reproduction nidification miaulement
ils ont la ville à eux
les rares voitures ne les effraient pas ils marchent sur les trottoirs
au milieu de la route

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au premier rond point ce matin
la flic nous dit de déposer devant le pare-brise nos attestations
manuscrites
elles sont insolentes il manque la moitié du contenu
et on a aussi changé des mots
ça elle ne le voit pas
mais au premier coup d’oeil elle dit
qu’il en manque
des mots creux
des ceux qui contraignent par la loi
qui doivent donc inspirer confiances et justice
vous n’avez pas tout recopié 135 euros d’amandes ça fait cher la page d’écriture
maintenant faut tout recopier
ah bon
bé oui ils le répète assez à la télé
on a pas la télé
faut les imprimer alors
on a pas d’imprimante
vous faites quoi vous allez où
on a rendez vous avec la sage femme et après faut qu’on fasse des courses
amande amère évitée
bêtise quotidienne
j’ai l’impression qu’elle portait un masque de chantier
comme quand tu fais de la ponceuse ou de la peinture
toxique
en plus
j’ai pas le droit d’accompagner chloé au rendez vous avec notre sage femme
alors on se donne rendez vous derrière le cimetière avec un copain
cueillette de thym salvatrice dans la garrigue
paraît que même sur ces chemins en terre les amandes tombent
et que des amères
ça c’est interdit
ça ? heu interdit
c’est interdit de
non
ça parait que y a plus le droit
t’as pas le droit
ne pas
ne plus
la liste se renforce chaque jour
monter à vélo est interdit
le vélo est par nature un irrédentiste
il se déplace à l’huile de rotule
il est silencieux et permet de s’escamper loin des regards
rapidement
trop louche
décidément vélo tu mets à mal le confinement
tu représentes une menace pour la sédentarité obligatoire
tu es interdit
la poussette des amis foule la garrigue neuve et fleurie
l’enfant s’est endormi sur les cahots familiers
la terre au pied des pieds de vignes est cramée par des produits désormais invisibles
reste la trace de la brûlure dans les rangs
silence de printemps
pas un silence creux
un scintillement pullulant et narquois
des grimaces de pissenlit
des salto arrières d’asperges sauvages
des conte de fées de buses et du merle songeur
normalement on entend quand même la route là et par là aussi
j’ai comme un vertige
la petite frénésie du voyage dans le temps
je me représente acoustiquement la campagne 50 ans en arrière
ce silence coutumier aujourd’hui en sursis
pour les oreilles c’est du pain de mie
et pour les yeux c’est beaucoup de lumière
les photons gagnent l’intérieurs des orbites
envoient partout des signaux que là on peut plus reculer
le temps du grand dehors est arrivé
siégeant dans le calme du passé
cela dit
nos regards se portent régulièrement vers les maisons alentours qui pourraient abriter
des délateurs
voisins vigilants
vigie du confinement
de retour en ville
le vent est frais
plus de passants que de voitures
un gars place un petit bout de carton sous ses fesses
ce côté du quai est à l’ombre
adossé au montant en bois de la boulangerie
il choisit les pièces qu’il dispose dans sa casquette
un enfant à manteau orange lui demande pourquoi il fait ça
pour manger dit sa maman qui l’entraîne par le bras
bon courage
bonaprémidi
un pigeon rentre à pattes dans la boulangerie
une jeune femme pose son pack d’eau sur la poubelle et donne une pièce
au monsieur par terre
au loin approche un autre
remontant à contre sens des rares voitures
sa canne dessine des courbes sur l’asphalte
il s’arrête en aviateur ivre d’espace à la hauteur de l’homme assis par terre
lui touche deux mots et presque le bras
ils ne parlent pas la même langue
l’aviateur laisse sortir le pigeon de la boulangerie
rentre à l’intérieur d’un air entendu
puis ressort avec deux ficelles
en laisse une a l’homme assis
et repart dans sa course monologue
la nuit abrite la pluie
la cabane est toute chaude
un peu courbaturée

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aujourd’hui lundi le ciel est gris
pour de bon
pas de méprise possible
j’ai moins de scrupules à rester enfermé
moins de printemps à louper
la mer doit être comme une taule ondulée
rideaux fermés
la lumière allumée derrière
je pousse la porte
l’ami m’invite d’un sourire à rentrer plus avant
tiens
je me sens gauche dans des espaces qui ne sont pas les miens
si je touche ce coin de table en bois
si mon manteaux repose sur cette accoudoir
si je m’assois sur cette chaise
si je regarde le soleil dans les yeux
et bé quoi ?
ça va pas t’boucher le trou du cul me disait ma grand mère
ouais mamie t’as raison
en plus tsé quoi il a fabriqué un gel maison à base d’alcool à bruler et de vinaigre blanc
mmmm
l’odeur toute la journée sur les mains
comme une trace rassurante d’un moment chaleureux
on va faire comme dans un vrai bistro
un vrai café dans une vraie tasse
ce matin j’ai fait chanter bella ciao à ma mère pour la réveiller un peu
on a négocié avec les carabiniero pour qu’ils laissent entrer dans le village
la seule badante ( comprendre auxiliaire de vie )
qui veut bien encore s’occuper de ma mère
Gina est roumaine
ces sont les roumaines qui font ce métier dans le sud de l’Italie
ma mère l’aime pas
mais nous à Gina on lui fera une énorme médaille
même pendant ses quelques minutes de lucidité par jour elle parle pas à Gina
mais elle vient
ça m’a mis la boule au ventre les deux fois où j’ai ouvert l’épicerie la semaine dernière
ça me fait bizarre de faire du fric par des temps pareil
ça veut dire quoi ?
le primeur bio là bas
tellement ça marche il a embauché un livreur
pfff lui il se rend pas compte de tout ce qu’il se passe
il a pas le temps il est à fond
il charge il décharge ses caisses
faut qu’on s’organise
qu’on réquisitionne des lits de camps chez décathlon et une salle de la mairie
et de l’oxygène hein ?
qu’on se prépare au premier pic de malade qui va arriver
on pourrait cuisiner aussi pour que les gens n’aient plus à sortir de chez eux
en italie ça commence à marcher mais ils sont deux fois plus confinés que nous ici
une voiture banalisé passe lentement devant le fromager
4 hommes à brassard orange
regards mornes
ciel toujours gris
le truc c’est que là bas en italie
à mon frère et à ma mère
ça commence à leur poser problème que je travaille plus
ils ont plus d’argent … je leur en envoi plus quoi
ce soir
la nuit
les oiseaux au silence
dehors ça caille
et je vous mets en dessous du chien qui danse
un article de Jordan Pouille paru dans Mediapart
sur une profession oubliée en ce moment
alors qu’elle est au contact avec ce que nous craignons pour nous
pour nos proches et nos moins proches
la camarde

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m a r s 2 o 2 o

la tramontane laisse ce soir une queue de casseroles dans l’air
le rendez vous des 20h dure longtemps dans l’air soutenu et froid
ce rendez vous
est-il l’occasion pour certainEs
de sortir des instruments qu’ielles n’ont jamais osé jouer avant ?
un trombone surgit péniblement du noir de la colline
aujourd’hui rien à dire
on attend
je te dirai quoi plus tard
mais là on attend
rien de rien aujourd’hui
pas descendu
la rue connait pas
heureusement l’ami Thermidore Rascasse
nous offre cette
dystopie par retour veineux cryptographié
ça s’appelle
les dipneustes
-« Au début on nous protégeait
enfin rétrospectivement on peut confirmer
qu’ils se protégeaient de nous
du moins l’idée de confinement était de nous séparer les uns des autres pour éviter la contamination
saufs pour les travailleur
sauf pour les précaires
sauf pour les prisonniers.
Mais au bout de 7 mois de confinement, voyant que la tentative de contenir le virus n’avait que très peu d’impact sur sa propagation et son taux de mortalité ( il avait déjà muté déjà 3 fois ),
le capitalisme
les boursicoteurs
les marchand d’armes
les chiens de fusils
les propriétaires de tout poil
et même les chefs de petites entreprises de centre gauche
tous ces gens qui estimaient avoir perdu
de l’argent du temps
du stock et des clients
toutes ces locomotives de l’économie de marché ont fait valoir leurs vieux privilèges – réflexes assoupis.
Grognements jusque là étouffés sous le chloroforme de la sociale démocratie, chacals à l’affût le temps que les affaires reprennent.
Comme les dipneustes africain – ces poisson a un double système respiratoire, un poumon et des branchies leur permettant d’estiver dans un cocon de boue pour résister à la sécheresse -,
comme un banc de dipneustes languides, les marchés allaient se redéployer sans complexe après avoir feint de montrer patte blanche, componction et autres prêts lénifiants, aux nations en guerre contre le pangolin frénétique.
L’attente d’un jour meilleur et le soutien aux plus touchés n’avaient que duré.
Un scénario loin de ce que certains timorés adeptes du développement personnel croyaient se dessiner.
La fin du système injuste
le début de la décroissance
un nouveau monde respectueux et silencieux
une prise de conscience de nos gouvernants voire leur bonne gestion de la crise, tout cela disparaissant, noyé dans un mugissement de haines du manque de stock options.
C’est donc là que ça a commencé à chauffer pour nous.
Nous n’avions pas payé le loyer depuis le premier mois de quarantaine. Pour notre proprio que nous n’avions jamais vu c’était sans doute devenu trop.
Il avait le droit de l’exaspération libérale avec lui, la loi n’ayant jamais cessée de jouer en sa faveur, il se senti complètement légitime de nous expulser.
Quand bien même personne ne se déplaçait plus dans les rues et que toutes les places en auberge de jeunesse ou gymnase pour les sans abris étaient complètes, quand bien même l’air vicié
d’aéro-cororona s’était épaissie d’humidité avec l’hiver revenu,
nous ne serions plus au chaud et ce qui nous attendait était les cachots de l’état. Au vieux souvenir de la trêve hivernale s’ajoutait la peur de ce qui nous attendait
Alors que les prisons avaient été vidé dans un spasme sanitaire et pragmatique dés le début de la pandémie, depuis deux semaines elles se remplissaient à tour de bras.
On y collait volontairement et ostensiblement les récalcitrants au confinement
les rebelles aux loyers
les contestataires numériques ou physiques
on les confinait ensemble pour que la maladie s’exprime rapidos
la mort plus foudroyante et contenue que jamais
enfin,
le pouvoir montrait son visage impavide
pour ceux qui l’ignoraient ou refusaient de le voir en face
le pouvoir montrait son visage
ce qui en rassurait la moitié
ce qui en sidérait un quart
pendant que l’autre quart subissait la répression
cette sidération des plus naïfs ne joua pas en la faveur de ces nouveaux enfermés … retard à l’allumage de l’indignation démocratique.
Au contraire, nous nous retrouvions seules à devoir être déportées, tous nos camarades étant déjà loin ou déjà en train de mourrir du confinement létale dans ces léproseries politiques.
Pourtant, l’enfant avait 3 mois et il respirait bien,
on comptait sur lui pour nous sauver.
Sur lui et sur les jeunes gens qui ne craignaient pas la contamination et qui montraient aussi des signes de divergences avec les consignes psycho-sanitaires des dernières semaines.
En effet, les test de QI, de QE, de Frostys hypodermiques ou de mode mixolydien, les galvanisaient peu à peu contre l’iniquité crasse incarnée par une situation dans laquelle jusqu’ici ils avaient dû jouer un rôle centrale mais très ingrat dans la responsabilité collective rognant largement sur leur pratiques quotidiennes dans l’espace publique.
Quand au nouveau né ce n’est pas une image, nous comptions un peu sur lui pour nous sortir de là … car comme quelques enfants apparut au printemps 2020 il était doté de capacités accrues et inédites.
L’autre jour sa simple présence dans l’épicerie suffit à nous alerter : en s’approchant avec l’enfant dans les bras du lecteur de carte de credit sans contact nous avions payer nos bananes sans que notre compte en banque ne soit débité et sans que la dame à la caisse s’en aperçoive
il avait impayé
il avait endormi la dame
c’est un double super pouvoir
ce fut une révélation et un bon début !
Mais comment cela nous sortirait il de ce pétrin 2.1 ?? ».
wouahha …
merci Termidore Rascasse
merci pour cette histoire heuu
enfin
heu
merci pour ta contribution
la nuit est remplie de vent

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« Les dirigeants de l’UE ont étalé, une fois de plus, leurs divergences face à un facteur exogène »
oui ça veut dire que lorsqu’il s’agit de fermer les frontières ya du monde
mais porter un coup de mains aux copains de la même union
là ça devient plus compliqué
surtout si ce sont les copains du sud
ceux qui galère à rentrer dans les clous de l’austéritarisme
en 2008 la Grèce reçoit le coup de grâce
qui sera laissé sur le carreaux cette fois ?
et si on ouvrait un cagibi ?
on pourrait laisser la porte ouverte d’un cagibi mondiale de matériel médical par exemple
une réserve où chaque pays si il en besoin pourrait se servir pour éviter la contamination
avec des masques des test des jours de repos du personnel des gants
des tas d’expériences des autres avant nous
de l’agent pour le personnel
une boite à outil internationale
comme le cagibi de lutte des Gilets Jaune à perrigueux
un stock de matériel dont chacun peut se saisir pour une action collective
et non un stock de matières périssables sur lequel les requins peuvent spéculer
on note donc que l’europe n’existe pas en ce qui concerne la solidarité trasnationale
et que ce sont des pays à peu près soit disant à peu prés communistes comme
la chin et cuba qui viennent en aide en premier
à l’italie
un ami me dit que quand tout ça sera fini
calmé
ces dirigeants irresponsables et cyniques vont devoir payer pour leur incurie
et payer de leur propre vie
un sacrifice
une vengeance
ça ne lui parait pas incongrue
nareux nareuse
zirou zirouse ziroute
comment on dit chez toi
quelqu’un qui éprouve facilement du dégout
que ça gêne de boire dans le même verre que quelqu’un par exemple ?
depuis notre contention appartemantale
quand je vois des actrices et des acteurs à l’écran
je me surprends à observer leurs rapprochements d’un oeil dubitatif
avec un dédain anthropologique
ces salutations sociales et autres rituels du salut approches non verbales
naturelles
culturelles
j’assiste à ces scènes avec une tiède perplexité
quoi ! ils elles se touchent là?
mais ils sont vachement trop prêts pour se parler
et là mais je rêve elles se font la bises
wouhaou les rebelles
les inconscients
les naifs
les navets
les innocents
les degueux
je me vois agir
depuis quelques semaines
vis à vis des proches que je tiens à distance
défiant ainsi la contamination
j’envie l’insouciance des acteurs et actrices
à chacune de leurs bises accolades
et en même temps
j’ai un mouvement de recul incrédule
ils ont pas le droit
j’entends la petite voix
ils ont pas le droit
ces humains qui n’ont pas peur de se serrer la main
se serrer dans les bras
se serrer les coudes sans le savoir
c’est la peur que je serre devant moi
comment c’était avant
reviendra-t-on aux trois bises pour se dire bonjour
cela nous semblera-t-il toujours aussi naturel ?
il a neigé
dans la nuit orientale
ici
non
faut pas pousser

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« Malgré l’interruption de la plupart des liaisons aériennes, les centres de rétentions administrative (CRA) restent en activité à l’exception de ceux de Nice, Strasbourg, Sète, Hendaye et
Guadeloupe. »
je vérifie pour celui de sète
personne ne répond à la cabine
allô mamie c’est comment ta recette des croques monsieur de quand on était petits déjà ?
un jaune d’œuf et du lait
mais ce qui vous changerez un peu c’est des beignets aux pommes de terre
faut faire de l’exercice
avec ce con le conf le confén le enfin merde tu m’as compris hein
on est tout dévarié
cette nuit d’après ce que j’ai entendu sur la 16 à la télé
parce que je dors pas
on serait au pic
à deux heures du matin il sera trois heures
enfin tu changes d’heure si tu veux
on est plus à ça prêt
merci mamie

le profil absorbé par un panier de fèves
j’ai entendu dire que la mer existait toujours
ses reliefs de passage
ses relents habités
sa course excagassée contre un parapet friable
sur lequel les enfants se dégourdissent du confinement
pendant la nuit
la police surgit et
les renvoie chez eux
« la mer s’est retirée de nous
les lignes de la main
sont ces dernières empreintes »
elle dit Anise Koltz
la voix du voisin du premier résonne sur la façade en face
de temps en temps mes fils traversent la rue pour dire bonjour
c’est tout
le pire c’est que c’est que le début
il se penche
regarde
à droite
regarde
à gauche
et crache dans la rue
la nuit tombe pour la dernière fois à cette heure
ça veut rien dire
de toute façon
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avec un bout de ficelle
l’ami trace pour nous
le kilomètre légal
pour fronder
l’heure braconnière
pointe courte theatre de la mer
j’ai peine à croire qu’accroupis sur le dos de la petite ficelle
on nous laissera
voyager

oh mais ce soir à 20 h il fera clair !
finit l’anonymat aux fenêtres à contre jour
on va se voir
se toiser
il fait tiède
et ça sent le pain perdu dans la maison
tiens là ils applaudissent
là ils sont pas aux fenêtres
là ça se voient ils ont pas l’air convaincu
oulala mais là dans la rue derrière ça envoie
c’est comme la première fois
que tu manifestes
dans ton quartier sous une pancarte ou derrière un tract
que tu parles fort
ou que tu te mets à danser dans la rue
comment vont te regarder les autres quand tu quittes ta peau
de passant consommateur buveur de café en terrasse
de passante
la représentation et la conviction
maintenant je me sens obligée d’être à la fenêtre tout les soirs
avec la voisine d’en face qui fait son concert de variétés
pfff verts bleu rouge
on a même les lumières dans l’appartement
des fois j’appréhende presque quand 20h approche
elle relaie les recommandations contre le virus
voire elle fait des petites allusions catho
ça s’arrange pas
mais je me dis que je doit être quand même à la fenêtre
sinon ils vont penser quoi
la voisine la première fois qu’elle a fait son concert les flics sont venus
et l’ont menacé de 450 balles d’amande
c’est une dame de la rue
une blouse blanche il parait
qui l’a dénoncé
depuis chaque soir c’est concert
mais là elle commence à être à bout de souffle
elle va pas lâcher maintenant que la rue l’a soutenue
mais oui c’est ça que je dis
prendre une place
identifié à elle on s’identifie à elle
notre rôle de passage dans la micro communauté
que constitue une rue
un immeuble une mail liste une bande un club un job saisonnier
un genre
ce soir qui sera timide d’en être ?

c’est normal ?!
elle était trop mignonne
une souris grignote sur la terrasse
pas farouche dans son ignorance d’être vue
ah… c’est elle qui gargouille sous le toit
et qui a mangé les graines pour les oiseaux ?
hi hi
moi je dis
bienvenue
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les mouettes retournent doucement les tuiles
comme les enfants retournent les cailloux de l’estran
à la recherche d’un crabe
pour effrayer les adultes
elles vont réveiller la souris

« Si je pouvais, je les confinerais tous en Amazonie, vu qu’ils aiment tant l’environnement » dixit Bolsonaro
il ya des humains qui vivent aujourd’hui dans des Territoires Indigènes
c’est comme ça qu’on dit
ce sont des isolés volontaires
des autochtones qui n’ont jamais eu de contacts avec l’État brésilien
ou qui les ont rompus
pas envie d’être tués abusés transformés
corrompus
condamnés par contact avec l’homme prédateur qui en veut à leur espace de vie sous sol arbres ressources liberté
ils sont aujourd’hui menacés par des ONG évangeliques sensées les élever au rang de vrais hommes
« Chaque jour, un peu plus, l’Indien est un être humain comme nous. »
dixit le même Bolsonaro
des associations qui servent les intérêts messianiques de leur dogme ethnocidiaire et christique et ceux des entreprises privées minière et forestière
évangélisation : bras armé de la contamination et du capitalisme extracteur
ça continue la liste des indignations
bon sens lancé dans un coin
ça s’accumule les indignations
ça se compost ?
ainsi le sous-comité des nations unies pour la prévention de la torture (SPT) émet des avis détaillés pour que les gouvernements réduisent la population carcérale et propose qu’ils mettent en oeuvre des programmes de libération anticipée ainsi qu’à examiner et réduire le recours à la rétention des immigrants ainsi qu’aux camps de réfugiés fermés etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc
en france on est loin des 5000 libérations annoncé
l’indignation va bon train
les actes suivent au loin
si lentement que la colère monte sur les strapontins
et surtout
que les prisons les centres de rétentions les camps de réfugiés
brulent
que les barbelés servent d’écharpes aux élus
et pas d’abattoir pour enfants atterrissant par exemple dans l’ile grec de Lesbos
dans des zones dites « sécurisée » où sont entassé 600 mineur.es livré.es à elleux même
par exemple
quand je rentre à la maison
je me lave les mains et mon téléphone avec
je peux pas m’empêcher de le tripoter au fond de la poche
ou pour prendre une photo par exemple
de dehors
lavé au savon et à grande eau quand il sonne maintenant il fait des bulles
mais compte tenu qu’orange a été choisi pour faire de la surveillance « médicale » des populations via leur gps
histoire de statistiquer les rassemblements de personnes
faire du renseignement de masse
et anonyme bien sur
bon bé on va sortir sans téléphone intelligent alors
surtout quand on va jouer au foot avec les enfants dans les rues calmes
ou que le hasard des circulations nous fait discuter le bout de gras sur un pont
pratique un pont pour voir arriver le voitures des flics
heureusement le contrôleur européen de la protection des données nous jure
qu’il « (…) veux insister sur le fait qu’une telle solution doit être considérée comme extraordinaire »
oui oui et temporaire

la nuit est tombé
on épluche des patates
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Les oiseaux volent haut
au bord de la colline
un nouveau vert
passagé
certains disent de lui
qu’il est tendre
je crois que je suis acro à la série
ça t’occupe l’esprit ?
je suis amoureuses de matieu kassovitche tu lui ressembles du coup quand on se couche j’ai l’impression de passer la nuit avec lui
j’ai recroisé l’abeille
elle a grossit
les oiseaux occupent l’espace au dessus de nos têtes
plus haut encore des grandes nappe ouatées de cirrus passent au dessus de leurs têtes
leurs têtes sans oreilles
qu’est qu’ils ont aujourd’hui ?
deux corneilles se posent un instant sur l’antenne
elles semblent balbutier une vengeance contre les gabians
les noir et les blancs
le voisin prend son vélo et apporte du pain tous les deux jours à son fils
pour passer devant les flics sans dommage il les fait rire
l’autre jour je leur ai dit : j’ai la mixomatose
quasi nonagénaire à l’accent improbable
c’est lui qui ravitaille le foyer
madame reste dans leur soupente et cuisine
sans jamais mettre le nez dehors
je descends aider à porter les paquets de mon mari
ça me fait la gym
10 fois je le fais par jour
10 fois je vous le jure
avant j’allais tous les jours à la salle de sport à keepcool
dites à mon mari de pas rester trop longtemps à vous parler
hein je lui ai dit pour le …
elle fait mine de se protéger la bouche
dégoutée
la voilà la confirmation que la concentration se porte bien en france
« Par une ordonnance du 27 mars 2020, le juge des référés du Conseil d’État, refuse la fermeture des centres de rétention »
au cas où
des associations rappellent « que les centres de rétention ne sont pas destinés au confinement sanitaire des personnes qu’ils renferment. »
des mouroirs
des ilots de désolations
sur le balcon dernier rayon de soleil
notre ami Kéba de casamance a été surpris pendant un déplacement dans la ville sainte de Touba au sénégal
c’est à 600km de chez lui
personne dans le pays ne peux sortir de la ville ou du village où le confinement l’a trouvé
il raconte : y’a pas de lit
si ça vient c’est la catastrophe
dieu va nous en garder
mais y a une psychose étatique
les gens sont pas paniqués
dans les villages ils vaquent à leur occupation
peut être qu’avec les villes en quarantaine ça va nous sauver
les routes sont bloquées par l’armée
et y a pas de moyens de transport
même si tu as l’administration avec toi pour sortir
ya plus de transport
actuellement c’est gravissime
ya pas d’infirmer pas de médecins pas de lits
personne ne sait rien tout le monde attend
moi je panique pas trop
mais je suis venu sans bouquin du coup je tourne en rond toute la journée
la maison ici
c’est remplie de monde au minimum une cinquantaine de têtes
une maison maraboutique sur 2 hectare
mais le marabout il peut rien pour nous
le matin tu fais les 100 pas jusqu’à la brousse
et tu reviens
on attend tranquillement que la situation se décante
mais si ça dure une semaine c’est la catastrophe
ici on vit au jour le jour
les gens ont pas de provisions pour 5 jours faut aller au marché
les médecins ont qu’a tout faire pour éradiquer ça
et tout le monde se remet derrière le président
on parle plus de politique
pas de religion
partout les règles d’hygiène sont respectées
de l’eau et savons devant les maisons
devant les marchés qui sont ouverts entre 6h et 15 h
c’est l’état d’urgence
les policiers tapent les gens dans la rue à partir de 20h
tout le monde a fermé sa frontière et veille aux grains
mais si ça dure une semaine c’est la catastrophe

cette nuit
comme ce matin
ce ronronnement sourd et gigantesque
du dehors rentre à l’intérieur
ça vient du port